Rencontre avec Esperanza Aguilar. Cet article est paru dans le magazine Americas Connection
Quand on n’a pas l’occasion d’aller directement en Colombie pour goûter à la traditionnelle bandeja paísa, quel meilleur moyen pour découvrir la gastronomie de ce pays qu’en se laissant porter par les histoires d’une chef colombienne ? C’est curieuse d’en apprendre un peu plus sur la cuisine colombienne que j’ai interrogé Esperanza Aguilar, fondatrice de Múkura dans le 19ème arrondissement de Paris. D’une voix souriante et pleine d’énergie, elle a accepté de me raconter son parcours et de me parler passionnément de la gastronomie colombienne.
Issue d’une « famille de gastronomes », comme elle se plaît à la décrire, Esperanza a quitté la Colombie pour la France en 1983 afin de poursuivre des études dans la mode. Après avoir travaillé dans plusieurs restaurants, dont certains latino-américains, le destin a voulu qu’elle devienne elle-même chef de son propre restaurant. Pour elle, qui avait pour but de retourner dans sa ville natale, Cali, et d’y ouvrir son atelier de mode, lancer un restaurant de cuisine traditionnelle colombienne à Paris était un défi inattendu. Mais, dans son tout premier établissement ouvert en 1992, lorsqu’elle commence à préparer des plats traditionnels colombiens pour les Parisiens, elle comprend que sa cuisine est investie d’une mission : celle de dire au gens…
« Oui, en Colombie, on mange, on a une cuisine, une gastronomie, on existe ! ».
Et puisqu’on parle de Colombie, j’en profite pour l’interroger sur la gastronomie colombienne : qu’est-ce qui est à la base de cette cuisine ? Quels en sont les plats emblématiques ? Elle commence à me décrire alors avec vivacité et passion une cuisine pleine de variété et de couleurs. Une cuisine régionale – chaque région ayant ses spécificités locales grâce aux microclimats caractéristiques de la Colombie – et très métissée, à cause des influences amérindiennes, espagnoles et africaines qui s’y sont mélangées. Sur la côte atlantique, on retrouve même des influences arabes, issues de l’immigration libanaise. C’est à cela qu’on doit l’introduction de l’aubergine dans les plats colombiens par exemple !
J’apprends ensuite que le repas colombien est traditionnellement constitué d’une soupe et d’un seco, plat à base de riz, de viande (en sauce ou frite) servie avec une salade à la colombienne. Cet almuerzo (déjeuner) est servi avec une agua de panela, mélange très goûteux d’eau fraîche et de pâte de canne à sucre. Esperanza m’en parle en plaisantant à moitié : « C’est désaltérant et plein de vitamines, autant qu’un jus de fruits… Le jour où une multinationale s’emparera de l’agua de panela, cela nous coûtera très cher ! ».
En Colombie, un mets que tout le monde connaît, du nord au sud , ce sont les empanadas, chaussons de blé dans certains pays, beignet des maïs en Colombie. Ils sont très appréciés en France ! Un autre plat que tout le monde connaît après les empanadas, s’appelle la bandeja paisa, un plat d’origine paysanne « costaud », comme on dit. A base de riz et de haricots rouges, il est accompagné de viande hachée, de chorizo (saucisse colombienne) et bien sûr d’arepa, la traditionnelle galette colombienne qui est l’équivalent du pain français. Ajoutez-y de l’avocat, de l’œuf, de la banane plantain et du boudin, et vous obtiendrez « un plat explosif » que la restauratrice elle-même avoue ne pas arriver à terminer !
Mais la bandeja paisa n’est qu’une toute petite partie de la cuisine colombienne. Quand je demande à Esperanza de désigner trois autres plats qu’elle considère comme emblématiques, elle me parle de l’ajiaco, soupe consommée dans le centre du pays. Cette soupe est préparée à base de poulet, de plusieurs variétés de pommes de terre dont la papa criolla (une variété de petites patates cultivées dans les vallées de la Cordillère des Andes), et d’épis de maïs. Mais l’herbe aromatique secrète de cette recette, c’est le guasca. Sans elle, cette soupe servie avec du riz, de l’avocat et des câpres, n’aurait pas son goût caractéristique. Ensuite, elle évoque le sobrebarriga. Il s’agit d’une pièce de bœuf située entre la peau et les côtes de la vache, cuite à feu doux pendant des heures dans une grande quantité d’épices. Selon la Colombienne, la viande ainsi préparée se défait et fond dans la bouche « comme du coton ». Elle est servie avec du riz blanc, du manioc, des pommes de terre, de la salade et du plantain mûr.
A ce stade, il est impossible de ne pas avoir l’eau à la bouche ! Un dernier plat représentatif de la nourriture colombienne d’après Esperanza, c’est aussi l’un de ses préférés : le tamal valluno. Un plat de sa propre région, qui consiste en une pâte de maïs et de viande marinée pendant deux heures, enveloppées dans des feuilles de bananes, puis cuites au bain marie. En fonction des régions, on trouve du tamal au poisson, porc ou poulet, ou bien au riz… chez elle, on le garnit d’un trio de viandes, mélangé à des haricots verts, petits pois, carottes, pommes de terre, et d’une sauce tomate faite maison. Ce plat, elle en garde un beau souvenir car sa mère le préparait pour le dimanche. En famille, elle aidait à nettoyer les feuilles de bananier, à couper le fil pour entourer le plat… C’est en l’écoutant décrire ce procédé avec la joie du souvenir que je réalise, une fois encore, à quel point nos goûts pour la nourriture reposent sur nos expériences émotionnelles. Esperanza me le prouve de nouveau à travers ses fascinantes histoires.
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Avant de conclure ce voyage culinaire imaginaire en Colombie, qui fait rêver mes papilles, parlons d’une dernière richesse de ce pays : les fruits. Esperanza m’explique qu’il faut que nous nous arrêtions de parler dès maintenant car si nous commencions à évoquer ce sujet, nous en aurions pour des heures ! En effet, je comprends vite que les fruits sont un véritable trésor pour la Colombie : on dit que chaque jour de l’année, on peut manger un fruit différent ! Depuis ses débuts dans la restauration, il semble qu’Esperanza n’a jamais abandonné son goût pour les jus de fruits. Elle met un point d’honneur à toujours servir des jus de fruits ultra-frais, car ils peuvent fidèlement transmettre, selon elle, le véritable goût de la Colombie !
Comment ne pas avoir envie, après cette entrevue, de saisir fourchette et sac à dos pour sillonner les chemins gustatifs de la Colombie ? Si j’en crois Esperanza, depuis les côtes fortes de leur poisson frais, aux régions plates des Llanos Orientales où les tribus nomades ont développés leurs propres modes de cuisson dans la terre, on pourrait passer une année complète à découvrir la gastronomie colombienne, et ce, sans compter tous les fruits exotiques qu’on mettrait dans nos bagages ! Alors… qu’est-ce qu’on attend ?
Cet article est disponible sur le site d’Americas Connection et en page 32 de l’édition novembre-décembre 2016 sur la Colombie.
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