A 7 heures du matin, heure locale, l’avion de l’Austrian Airlines atterrit à Tokyo Narita. On m’a déjà parlé plusieurs fois en Japonais dans l’avion. Je me suis donc résolue à apprendre à dire par coeur « Je suis désolée, je ne comprends pas, je viens de France » : gomen na sai, wakari masen, furansu kara kimashita. C’est l’une de mes appréhensions : c’est la première fois que je voyage seule dans un pays dont je ne parle pas la langue et dont la culture est aussi éloignée de la mienne… mais l’est-elle vraiment ?
Je mets déjà 1 heure et demi à partir de l’aéroport : c’est grand, je n’ai pas fermé l’oeil dans l’avion et tout est écrit en japonais. TOUT EST ECRIT EN JAPONAIS. J’ai ma soeur en direct sur whatsapp sur le wifi gratuit de Narita Airport, elle a l’air aussi excitée que moi. Mon copain me fait la blague « C’est que tu es dans le bon pays », avant de se rendormir aussi sec. Evidemment : il est minuit et demi de la veille en France. Mais il a raison, je suis dans le bon pays ! Je ne suis pas sûre que mon cerveau fonctionne correctement. Je vais vraiment lentement. Mais je finis pourtant par changer de l’argent, récupérer mon Pocket wifi, qui va transformer la 3G en signal wifi et me permettre d’accéder à Internet où que je sois pendant mon voyage, et échanger mon coupon Japan Rail Pass contre la carte effective qui me donne accès à près de 80% du réseau ferroviaire du pays sans frais supplémentaires.
Welcome to Japan ! Je monte dans le Narita Express qui m’amènera à Shinjuku, la grande station près de Shinjuku Sharehouse, où je vais loger 6 nuits. J’ai hâte d’être assise dans le train. Comme me l’a indiqué mon précieux Lonely Planet Japon, je fais la queue sagement derrière la ligne en face de la porte de mon wagon en attendant que l’agent responsable nous fasse signe de monter. En réalité, tout est en japonais, mais toutes les annonces sont aussi en anglais. Il est impossible de se tromper. La dame au micro souligne même que les compartiments à bagages risquant de se trouver encombrés au moment de la descente, il est recommandé de se munir de ses valises avant d’arriver à son arrêt. Je m’assieds à la place 6D en voiture 10 et sort mon petit coussin pour y poser ma tête.
Le train part. Le paysage défile. Le visage appuyé contre la vitre, je suis partagée entre mon corps qui me demande sans cesse pourquoi je lui inflige un tel manque de sommeil et mon cerveau qui lutte pour me maintenir éveillée : je ne veux pas en rater une seule miette. Nous sommes à plus de 50 km de Tokyo. Le Narita Express file en extérieur et j’essaie d’ouvrir grand mes yeux (mais c’est dur). Ce qui me frappe en premier lieu, c’est le vert. Le vert humide, intense, de la mousse qui recouvre les murs bordant le chemin de fer, des lianes de végétation luxuriante qui viennent le recouvrir, des petites plaines, des rizières. Les films d’animation de Miyazaki ne mentaient pas : c’est bien le Japon qu’il mettent en scène, avec le vent qui traverse les épis de riz avant de s’ébrouer dans la forêt. La forêt est un fouillis de plantes et d’arbres que je ne reconnais pas, mais elle est aussi entremêlée de bambous. Voilà, on est bien au Japon. De temps en temps, des groupes de maisons aux toits tuilés de bleu ou de brun apparaissent, emmêlées de fils électriques. Elles sont bien vite remplacées par des colonnes de lignes à haute tension. Mes yeux se ferment malgré moi.
Je m’endors au moment où nous pénétrons dans la banlieue de Tokyo, je crois. Je me réveille de temps en temps, difficilement, pour m’apercevoir soudain que nous sommes en ville. D’étranges échafaudages de rails passent par-dessous et par-dessus le train, les bâtiments se font plus hauts et plus denses. Et soudain, je vois passer au-dessus de nous un train… accroché par le haut. J’écarquille les yeux pour avoir tout juste le temps de lire « Urban Flyer » sur l’inhabituel transport. Nous traversons des stations. Un homme accroupi sur le quai mange dans un petit bol. Des hortensias bleues bordent les barrières. Je peux presque sentir la pluie qui coule sur leurs feuilles tellement j’ai vu et imaginé ce type de scène dans les mangas. Car tout est comme dans les mangas. Malgré la vitre qui me sépare de ces paysages, je ressens comme une étrange familiarité pour tout ce que je vois. Et une sorte de mélancolie surprenante que j’ai du mal à ignorer : mais n’est-ce pas avec les mangas, après tout, que j’ai ressenti mes premiers émois de pré-adolescente ?
Je m’endors de nouveau. Il est presque 11 heures. La dame du micro annonce cette fois que nous arrivons bientôt à la station Shibuya. Mécaniquement, je range mes affaires, même si je dois aller jusqu’à Shinjuku. Et la voilà qui recommande de changer à Shibuya pour la Yamanote line ! C’est ainsi que je me retrouve sur le quai à Shibuya, bien alignée avec ma valise et mon sac à dos avec les autres Japonais. Tout est indiqué par terre. Mais rappelez-vous, tout est en Japonais. Alors mon cerveau endormi doit bien observer ce que font les gens et comment ils le font afin de ne pas commettre d’impair. Je regarde aussi comment les gens sont habillés. Ils sont bien habillés comme les Japonais des mangas, certains de façon rocambolesque pour des yeux européens, d’autres en tailleur et costume rangés. J’ai l’impression d’être déjà venue, tant j’ai attendu ce moment. Ce moment de voir en vrai cette ville qui a nourri mon imagination de petite et de jeune fille.
Shin-Okubo. C’est ma station. Je sors du train, et suis les indications sur mon portable, données par le direc de la guesthouse où je vais séjourner. Je me perds un peu, je ne suis pas sûre du tout du chemin à emprunter. Les bâtiments commencent à être très élévés, les enseignes de magasins et de restaurants un peu plus dense. C’est à peu près ce que j’attends des alentours de Shinjuku, je suis donc rassurée. Je me connecte à Internet 2 minutes 30 pour vérifier sur Google Maps et je reçois un sms de mon opérateur français qui me dit que j’ai atteint 40€ d’Internet à l’étranger. 40 EUROS ??! Je vérifie. Ah oui, c’est 13€/Mo… forcément. Je désactive la 3G, désemparée. De toute façon, ça ne servait à rien, il aurait fallu que je tape les caractères (les kanji) pour que Google Maps Japon comprenne et ça, je ne sais pas faire. Soupir. Je continue. A priori, j’ai fait ce qu’il fallait de toute façon. Et miracle ! Au coin de la rue apparaît la boutique « Jaksal Chicken » rouge et jaune qu’on m’a indiquée. Je monte au 9ème étage comme demandé et là, Min m’accueille avec enthousiasme et énergie : « Fabienne! At last! » – « Yes, hi! It took me a bit longer than I expected… ». Il me montre la maison et mon lit, entouré d’autres futons et d’autres voyageurs, avant de me laisser m’installer.
L’air est humide, un peu pollué mais respirable. Il pleut. Le ciel est gris et les bruits de la rue envahissent la chambre. Le balcon donne sur une moyenne artère. Sans demander mon reste, je m’endors. Il est midi à Tokyo, 5 heures du matin à Paris, et je suis enfin à Shinjuku.
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